Les niveaux records d’endettement et de déficits atteints pendant la pandémie ont conduit de nombreux pays à suspendre l’application de leurs règles budgétaires.
Depuis 1990, un nombre croissant de pays ont adopté des règles afin de renforcer leur discipline budgétaire et d’accroître la crédibilité de leurs finances publiques. En se fixant ainsi des limites chiffrées en matière de dépenses, de déficits ou d’endettement, les dirigeants signalent leur engagement en faveur d’une gestion prudente des finances publiques. Dans le même temps, de plus en plus de pays se dotent de conseils budgétaires chargés d’effectuer un contrôle indépendant et de veiller au respect des règles fixées.
Que se passe-t-il lorsqu’un pays subit un choc violent, comme celui que représente la pandémie de COVID-19 ? Les pouvoirs publics doivent trouver le juste équilibre entre les nécessaires mesures de soutien d’urgence et la préservation de la crédibilité des règles encadrant l’action budgétaire.
Nos récents travaux examinent la manière dont les différents pays s’emploient à surmonter ces difficultés, en particulier au cours de la pandémie. À mesure que la crise se prolonge, les niveaux élevés de déficits et d’endettement mettront toujours plus à l’épreuve la crédibilité des règles encadrant la politique budgétaire.
Des écarts considérables par rapport aux règles
Les pouvoirs publics ont tiré parti de toute la souplesse des règles pour riposter à la crise sanitaire de manière adaptée. Près de 40 % des pays s’étant dotés de règles budgétaires ont activé des clauses de sauvegarde pendant la pandémie, notamment au sein de l’Union européenne, en Jamaïque, au Paraguay et au Royaume-Uni. Cette proportion n’était que de 5 % pendant la crise financière mondiale, à une époque où de telles clauses étaient rarement prévues par les dispositifs en place. Ces clauses ont permis aux pouvoirs publics de s’écarter des règles chiffrées, dans le respect des limites préétablies. En l’absence de telles clauses, les pays doivent procéder au coup par coup, en suspendant ou en modifiant les règles en vigueur.
Les conseils budgétaires ont également joué un rôle important en évaluant la riposte des pouvoirs publics face à la crise et en se prononçant sur le bien-fondé de leur recours à des clauses de sauvegarde. Ces conseils sont des organismes indépendants et politiquement neutres chargés d’effectuer un contrôle budgétaire, notamment en chiffrant le coût des mesures prises par les pouvoirs publics, en évaluant les projections budgétaires et en veillant au respect des règles en vigueur. Ils contribuent à assurer la transparence et la crédibilité du cadre budgétaire. Dans certains cas, les conseils budgétaires ont formulé des recommandations sur le type de mesures de soutien budgétaire à prendre et sur l’ampleur qu’il convenait de leur donner, et ont rappelé la nécessité d’une plus grande transparence des mesures budgétaires en riposte à la COVID-19.
L’augmentation sans précédent des déficits et de l’endettement au cours de la pandémie a conduit les pays à s’écarter considérablement des règles budgétaires. En 2020, les déficits de près de 90 % des pays dépassaient d’environ 4 % du PIB en moyenne les limites fixées par leurs règles budgétaires, et plus de la moitié des pays dotés de règles d’endettement ne respectaient plus leurs plafonds de dette publique. La dette publique excédait d’environ 50 % du PIB en moyenne les plafonds d’endettement dans les pays avancés, et d’environ 25 % dans les pays émergents, creusant des écarts déjà importants à la veille de la crise.
Le retour au respect des règles budgétaires
Après avoir largement dérogé aux règles budgétaires, de nombreux pays vont se heurter à une difficulté majeure : décider de modifier ou non ces règles et, dans l’affirmative, déterminer la meilleure manière de procéder.
Il est difficile pour les pays de faire machine arrière après avoir passé outre aux règles budgétaires, en particulier pour ce qui concerne les objectifs ou plafonds d’endettement. Ainsi, au lendemain de la crise financière mondiale, les pays avancés sont lentement redescendus en dessous des seuils de déficits en vigueur avant la crise, mais leurs niveaux d’endettement sont demeurés élevés. Dans les pays émergents et les pays en développement, les déficits ont d’abord baissé pour se rapprocher des valeurs limites, mais sont repartis à la hausse après la chute des cours des produits de base en 2014.
Les pouvoirs publics vont devoir faire des choix difficiles au lendemain de la pandémie. Quelles que soient les trajectoires empruntées pour le rétablissement ou la révision des règles, les pays devront s’appuyer sur des institutions solides et des cadres budgétaires à moyen terme robustes, afin de préserver la crédibilité de leurs politiques au cours de la période de transition. Les données empiriques indiquent que les entorses aux limites de déficits s’accompagnent d’une augmentation des coûts de financement. Une transition crédible contribue à limiter ces coûts pour les finances publiques.
Les pays pourraient donc saisir cette occasion pour encore renforcer leurs règles budgétaires. Si ces dernières ont démontré leur souplesse en période de crise, elles n’ont pas empêché une augmentation considérable et persistante de l’encours de la dette publique, bien que les coûts de remboursement soient restés limités, en raison de la baisse tendancielle de l’inflation et des taux d’intérêt réels.
Il incombera à chaque pays de décider de la voie à suivre, mais dans tous les cas, l’efficacité des règles en vigueur nécessitera un engagement politique ferme de la part des autorités, qui devront pouvoir faire état d’un bilan satisfaisant en matière de respect des règles, prévoir des mesures adaptées pour encourager la constitution de réserves lorsque la conjoncture est favorable, et se doter de clauses de sauvegarde permettant de faire face à des chocs de grande ampleur. Par ailleurs, en rendant les conseils budgétaires mieux à même de s’acquitter de leurs mandats en toute indépendance, les autorités amélioreront la crédibilité et le contrôle des mesures qu’elles mettent en œuvre.
De nouveaux jeux de données
Le FMI vient de mettre à jour deux jeux de données internationales sur les règles budgétaires et les conseils budgétaires.
De plus en plus de pays se dotent en effet de ces deux outils pour encadrer leurs politiques économiques. À la fin 2021, quelque 105 pays s’étaient fixé des règles budgétaires, contre moins de 10 en 1990. Le nombre de pays disposant de conseils budgétaires a lui aussi augmenté : ils sont 49 aujourd’hui et n’étaient que 19 en 2010.
Le premier jeu de données contient des informations relatives aux règles budgétaires nationales et supranationales en vigueur dans 106 pays entre 1985 et 2021. Il fournit des renseignements détaillés sur les types de règles et leurs caractéristiques (base juridique, champ d’application, clauses de sauvegardes et procédures d’exécution), et fait également état des principaux dispositifs qui viennent compléter ces règles, comme les organismes de contrôle et les lois de responsabilité budgétaire.
Le deuxième jeu de données décrit les principales caractéristiques des conseils budgétaires recensés au mois de décembre parmi les pays membres du FMI. Il permet de connaître les contours des attributions des conseils budgétaires, les tâches qui leur sont confiées, et les canaux par lesquels ils exercent leur influence ; il présente également leurs principales caractéristiques institutionnelles comme leur indépendance, leur responsabilité et les ressources humaines qui leur sont affectées.
Ces jeux de données ont l’ambition d’aider les dirigeants à renforcer leur gouvernance budgétaire en mettant à leur disposition les meilleures données internationales dans ce domaine.
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Raphael Lam est économiste principal au département des finances publiques du FMI. Il s’intéresse actuellement aux questions budgétaires liées aux inégalités, aux relations entre les administrations publiques et aux règles budgétaires. Il a travaillé précédemment au département Asie et Pacifique dans l'équipe chargée de la Chine et du Japon. Il a participé au programme de prêts du FMI à l’Islande pendant la crise financière mondiale. Ses travaux de recherche précédents portaient également sur des questions d'ordre budgétaire et financier. Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’Université de Californie.
Paulo Medas est chef de division au département des finances publiques du FMI et supervise l’établissement du Moniteur des finances publiques du FMI. Auparavant, il a occupé divers postes au département Europe et au département hémisphère occidental du FMI. Il a été représentant résident du FMI au Brésil de 2008 à 2011. Il a dirigé des missions de renforcement des capacités dans plusieurs pays. Ses travaux de recherche portent sur les règles budgétaires, la gouvernance et la corruption, les crises budgétaires et la gestion des ressources naturelles.